Au large de la Louisiane, ce serait l'équivalent d'un Exxon Valdez tous les quinze jours, ou d'un Erika tous les huit jours, qui se déversent dans la mer. Les mots sont vains pour qualifier cette catastrophe écologique sans précédent aux allures de profanation planétaire. A l'heure où j'écris ces lignes, le puits vomit encore ses millions de litres de souillures sans que BP ne soit parvenu à colmater la fuite. Une hémorragie sinistre, comme si la terre se vidait de son sang.
Pourtant, cet événement s'est dissous dans le bruit de fond de notre société et l'on y prête à peine attention. L'addition est pourtant à ce jour celle de cinq Erika! Comme pour la dette de nos Etats, les chiffres sont tellement énormes qu'ils finissent par nous étourdir ou simplement ne plus rien signifier.
Cette pollution spectaculaire d'hydrocarbures s'ajoute à d'autres, plus ordinaires, mais tout aussi destructrices et passées sous silence. Le mois dernier, au Nigeria, un oléoduc s'est rompu, déversant 4 millions de litres de brut dans le delta du fleuve Niger, l'une des 300 marées noires de toutes tailles qui affecteraient chaque année ce seul delta. Un exemple édifiant parmi d'autres, qui atteste qu'un peu partout sur le globe, pour cause de fuites permanentes, il y a chaque année des millions de barils qui dégradent l'environnement et affectent les populations. Pourtant, au-delà des conséquences économiques inestimables et des préjudices humains, cet événement est une fois encore la tragique illustration de notre inconséquence et de notre vanité. La nature fait les frais de notre avidité. Dans ce sacrilège, l'homme se mutile lui-même.
J'observe d'ailleurs le profil bas des écolosceptiques, des confréries du tout pétrole et des pourfendeurs récurrents du principe de précaution. "La science a fait de nous des dieux avant de faire de nous des hommes", craignait Jean Rostand. La technologie sans finalité consentie et sans humilité peut faire de nous des monstres. Comme pour Tchernobyl, la démonstration est faite encore que le génie humain a ses limites, que l'homme est faillible et donc que le pire est toujours possible. À l'aune des OGM, des nanotechnologies, de la fusion nucléaire, et de toutes ces promesses qui mettent en transe les scientistes de tout poil, actons que l'homme est désormais en mesure de générer des phénomènes qui lui échappent et qu'il ne contrôle plus. Quel symbole pathétique de voir tous les moyens économiques et technologiques de BP impuissants pour réparer leurs erreurs! Comme avec le volcan islandais Eyjafjöll, il est dommage que la nature ait besoin de nous confronter violemment à notre propre insignifiance pour nous rappeler l'ordre des choses.
Qu'au moins ce qui se passe là-bas nous permette lucidement de nous interroger sur notre addiction à cette énergie fossile. Pourrions-nous enfin entrer en période de dégrisement et admettre que le bal est clos! Loin de moi l'idée de nier que le pétrole, comme le charbon, a propulsé l'humanité dans un virage historique en démultipliant sa force et en le libérant de beaucoup de pénibilités; comme l'ordinateur décuple aujourd'hui notre intelligence et libère peut-être notre esprit.
Allons-nous pour autant saccager et retourner toute la planète pour extraire jusqu'à la dernière goutte de l'or noir, ou enfin nous projeter dans l'après pétrole? À creuser toujours plus profond, les risques que la production nous échappe sont toujours plus grands. Il en va du pétrole en grande profondeur comme des schistes bitumineux du Canada. Quels sacrifices sommes-nous prêts à imposer à notre environnement pour quelques litres en plus? Allons-nous attendre que la physique s'impose, en clair que les stocks s'épuisent, pour décréter la mobilisation, ou au contraire planifier la transition? Allons-nous observer l'économie s'étouffer à mesure que les réserves se contractent, ou au contraire en créer une nouvelle autour de l'efficacité énergétique, des économies d'énergie et des énergies alternatives et renouvelables? Pouvons-nous douter que les relations géopolitiques se crisperont en même temps que les réserves s'amenuiseront? Combien de guerres et de millions de dollars faudra-t-il encore pour que chacun essaye de faire main basse sur les reliques du précieux liquide?
Puis-je rappeler qu'il en est du pétrole comme de nos autres ressources naturelles? Nous ne bénéficions pas d'un stock illimité dont l'approvisionnement serait régi par les forces du marché. Puis-je également rappeler que pour le moment, et sans doute pour longtemps, il n'y a pas de substitut efficient?
Au moment où l'Europe semble hésiter sur ses ambitions climatiques, toutes ces questions font sens, car les moyens pour lutter contre les changements climatiques sont autant d'outils indispensables pour s'affranchir des énergies fossiles et anticiper l'après pétrole. Dit autrement, le climat et le pic pétrolier sont deux arguments massues pour réduire drastiquement notre dépendance au sacré pétrole!
* Président de la Fondation pour la Nature et l'Homme.
http://www.lejdd.fr/Ecologie/Pollution/Actualite/Hulot-Maudit-soit-le-petrole!-198160
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