L'Onu a décidé que 2011 serait l'Année internationale des forêts. Pour conclure notre série dédiée aux arbres et aux jardins, nous sommes donc allés à la rencontre d'un homme qui passe sa vie entre feuillus et résineux. Optimiste par nature, il s'alarme pourtant de l'avenir du hêtre, un arbre qui risque d'être rayé de la carte.
«C'est une rivière au nom d'arbre, elle arrive de la forêt... avant de s'ouvrir à l'invasion des marées qui, régulièrement, la remplissent... Elle vient des bois, elle vient du nom d'un arbre, elle est Ar Faou». L'amorce du récit de Philippe Le Guillou, «L'intimité de la rivière» (éd. Gallimard) nous plonge dans le sujet:Faou, «hêtre» en breton. Un peu plus en amont, au sud-est de Brest, la forêt du Cranou, moins célèbre que ses illustres voisines d'Huelgoat ou de Brocéliande, rassemble autant d'arbres que d'émotions.
«L'oeil forestier»
Ses 650 ha sont un peu le jardin de Marc Pasqualini, 54 ans, chargé de sylviculture à l'Office national des forêts (ONF). «Les feuillus y sont plus nombreux que les résineux et l'âge moyen des arbres est d'environ 80 ans, mais elle date de plus de trois siècles», confie ce Morlaisien d'origine corse, après que son grand-père a épousé une Bretonne de Plougonven (29). Chaussé de bottes vertes, équipé d'une boussole de forestier et d'un grand pied à coulisse pour mesurer le diamètre des troncs, il en arpente sans cesse les routes et les chemins.
Réservé, comme tout homme des bois, il a «l'oeil forestier». Couleur marron, certes, mais capable de dater un chêne en le jaugeant du haut en bas de ses 35 mètres. «Ceux-ci ont 150 ans, ce sont les plus beaux de tout le Finistère, avec leur cime particulière coiffée de fougères», fait-il remarquer en s'arrêtant au lieu-dit Le Pont Rouge. Du bois qui se vend à 300euros le mètre cube, mais pas question de couper ces vieux messieurs que l'ONF ménage avec respect. Ailleurs, il n'hésite pas à tronçonner, pour éclaircir, mais pas pour élaguer.
Le secret de la forêt bretonne
«Le hêtre fait cela très bien tout seul, il est dominant par rapport au chêne. Mais si on le maintient en dessous des grands chênes, il provoque un élagage naturel en empêchant la lumière d'arriver sur les troncs des chênes qui, du coup, grandissent sans branches basses et montent haut et droit», précise l'expert. Ce mélange de chênes, de hêtres, d'ifs et de houx, et même de saules qui serviront de friandise aux chevreuils, constitue le secret de la forêt bretonne. Elle progresse, tout comme la forêt française, qui est deux fois plus importante qu'au XIXe siècle. Notamment grâce au boisement des landes autour des captages d'eau potable, dans les monts d'Arrée. Les épicéas de Sitka plantés après-guerre doivent y être renouvelés sur les sols acides, ou remplacés par des pins Douglas sur des sols plus secs.
L'Arboretum du Cranou, qui sert de laboratoire à ciel ouvert, le montre avec les sapins de Vancouver, qui ne résistent pas... faute d'humidité. À la différence des séquoias, qui se sont bien adaptés. Quant au pin noir d'Autriche, il marche moins bien que le pin laricio de Corse. À l'instar du chêne pédonculé des talus, qui souffre plus de la sécheresse que le chêne sessile.
Le besoin de mixité sociale des arbres
«Si le réchauffement climatique se poursuit, le hêtre de plaine risque de disparaître, avertit Marc Pasqualini. Les climatologues estiment qu'il sera rayé de la carte en un siècle, sauf à Huelgoat, où les réserves d'eau sont suffisantes». Mais il garde son rôle éducateur et il faut le planter en essence d'accompagnement. Ou pour le bois de chauffage car il sèche rapidement (un an contre trois pour le chêne) et produit une belle braise.
Bref, du châtaignier - «l'arbre à pain» pour les Corses - au bouleau - essence pionnière par excellence, qui pousse et repousse avant les autres -, les arbres ont besoin de mixité sociale. Tout comme les hommes, et le technicien forestier se réjouit que «depuis que nous avons supprimé les poubelles en forêt, dont le ramassage coûtait trop cher, les sous-bois sont plus propres qu'auparavant, car les promeneurs font attention». Ainsi, après être passé par les Vosges, la forêt de Compiègne et dixans dans l'Orne, MarcPasqualini, a trouvé entre chêne et hêtre, sa raison d'être.
«Arbres remarquables de Bretagne», d'Olivier Hamery (éd. Palantines).
http://www.letelegramme.com/ig/generales/regions/bretagne/marc-pasqualini-la-foret-pour-raison-d-etre-28-08-2011-1411812.php
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